PAPILLON
« La silencieuse », « La mangeuse d’homme » ou bien « La guillotine sèche » ; ce n’est pas les expressions qui ont manquées pour décrire la dureté et l’horreur qu’allaient devoir affronter les prisonniers qu’on envoyait au bagne des bagnes : la redoutable île Saint-Joseph.
En effet, c’est au large de Kourou, dans les «îles du salut », que l’on se débarrassait des bagnards les plus récalcitrants de Guyane (ceux qui avaient volés, assassinés ou qui avaient déjà tentés de s’échapper). Les conditions de captivité y étaient effroyables. Détenus dans des cellules minuscules, ils avaient interdiction de parler, de fumer, d’écrire, de détenir un objet ou de s’assoir avant la nuit. Les prisonniers n’avaient rien à faire d’autre que de tourner en rond dans leurs cages où la lumière du jour ne pénétrait jamais. La chaleur étouffante, l’humidité, les nombreuses maladies, le manque de nourriture et les punitions des surveillants rendaient leur quotidien encore plus inhumain. Pas étonnant alors que leur espérance de vie soit aussi basse: un détenu sur trois y mourrait ; le reste parvenait à survivre mais avec des séquelles qui les poursuivraient jusqu’à leur mort (scorbut, tuberculose, aveuglement, folie, etc.…).
C’est avec curiosité que je suis parti sur les traces de ce qui fut un véritable enfer sur terre et surtout le témoin d’une des pages les plus honteuses de notre histoire. Ce voyage fut à la fois enrichissant et surprenant car il y a un vrai paradoxe entre la beauté de ce lieu et l’usage qui en a été fait. Avec cette série de photographies, j’ai voulu m’interroger sur cette contradiction qui paraissait essentielle à mes yeux. Pour cela, j’ai essayé de retranscrire de la façon la plus fidèle possible l’atmosphère chargée de souvenirs qui ressort de ses ruines. Lorsqu’on ignore l’histoire de l’ile Saint-Joseph, les cocotiers, la mer turquoise et le sable fin peuvent la faire apparaitre comme un endroit idyllique. Mais quand on sait ce qui s’y est déroulé pendant presque un siècle, cette vision se transforme et on découvre à quel point ce châtiment était en lui-même un crime. L’évolution végétale naturelle depuis la fermeture du bagne et comment les plantes ont désormais repris possession des lieux m’a ausi fasciné. Arbres, racines et lianes sont désormais en train de recouvrir chaque parcelle des murs et des couloirs. Si rien n’est fait, il est probable que les derniers vestiges du bagne soient rapidement détruits par la végétation. Il ne sera alors plus possible d’imaginer les fantômes des bagnards errer comme des âmes en peine à travers ces couloirs.
Une question se pose alors : Doit-on laisser le temps effacer nos erreurs passées ou au contraire doit-on les sauvegarder pour ne pas les oublier et surtout ne pas les reproduire ?